Née à Caen en 1981, Oïjha œuvre et vit au cœur du très lointain Groenland. En création d’immensité mentale, au seuil d’un essentiel évidé, elle sait convoquer le froid absolu, la nuit polaire, le soleil pâle et la peau habitée de son propre corps. La banquise est son territoire de vie. Ainsi naissent ses empreintes d’univers abandonnées sur la glace. En âme ouverte. En rituel d’apparition magique sur ses dedans et ses dehors. Un rien chamanique, Oïjha crée dans l’imminence d’une autre naissance et dans l’attente d’une autre humanité. Artiste toujours traversée, loin des pesanteurs occidentales, son art en dé-monstration fait voie ouverte dans les racines du grand rêve et se dérobe au sens et au définitif. Elle dépasse l’écueil des apparences esthétiques et celles du dehors immédiat. Elle est partie très loin de ses origines pour dépasser les richesses décantées du visible et de l’invisible. Le presque rien lui convient trop bien, et ses traces travaillées par la glace disent l’archaïque pouvoir de son total dénuement. En posture de veille et d’éveil, Oïjha a arraché tous les vêtements de nos surfaces et sa nudité édénique et pudique est sans âge. Par l’union du vide, du corps et de la plénitude, elle crée au-delà d’elle-même, et son art intemporel fait remède salutaire à l’écrasement identitaire. Chez elle, comme dans les déserts polaires, la brutalité de la couleur, comme le sang, s’est retirée.
Du microcosme d’un infime territoire charnel au macrocosme d’une cartographie d’ouverture spirituelle, infinies sont les énergies enfouies dans une œuvre subtilement possédée. Chaque création résulte d’un état volontaire de conscience augmentée, quand la surconscience vécue dépasse les limites des frontières psychiques. Cependant que tout passe par un corps profondément ancré dans son intimité, « le corps comme récepteur et émetteur de la présence au monde » dit-elle.
Sur des peaux de phoque, Oïjha invente d’impensables taches sur des vêtements de possible fête sacrale, imposants et fragiles, offerts à vif aux vents du Grand Nord pour de possibles cérémonies festives et magiques. Sa peau nue, posée sur la glace extrême du Groenland, impose au silence ses impensables traces de chair, toutes ténues, éphémères et talismaniques. Dessinées à l’encre de seiche, son véritable outre-noir, ses esquisses fabuleuses et ses fins jaillissements charnels incantent sans fin l’étendue virginale. On dirait de surgissants talismans vitaux, à la fois implacables et fragiles, saisissants et fantomatiques. En sidérant lâcher-prise, ses œuvres délivrantes, vibrantes, hasardeuses et envoûtées, témoignent de recherches décantées, libertaires et acharnées. Elle place la spontanéité au cœur de sa création et laisse surgir au profond d’elle les passerelles impensées de tous les ailleurs. Chargée d’altérité, Oïjha ensemence le vide. Elle ne cesse de s’aventurer vers l’inexploré, oxygénant sans cesse notre mental, en bousculant nos certitudes. D’une étonnante et souple liberté graphique, elle maintient intactes les sources délivrées du corps innombrable. Cette trame de chair, transparente et tendue, est une peau infinie, infusée de la mémoire de tous les passés, par quoi seraient passées toutes les vies… Comme dessinées au scalpel, et faites d’un point innombrable, ces allures d’entités souveraines n’ont pas d’âge.
Chaque œuvre d’Oïjha est un tressaillement arrêté. Sur les parois profondes de la préhistoire de l’être se déploie un art aigu, fluide et sensible. En secrètes beautés.
Christian NOORBERGEN
Critique d’art
Commissaire